Du dreadnought au torpilleur numéroté… La guerre sur mer vue à travers le ruban légendé.

Rubans réglementaires : cuirassés, croiseurs, torpilleurs

Rubans réglementaires : navire-écoles, navires-hôpitaux, bâtiments de servitude

Technique et politique
Malgré des effectifs appréciables, la Marine française n’est qu’imparfaitement préparée. Très loin derrière la Royal Navy, elle est désormais également surclassée par la Kaiserliche marine et l’US Navy. Ses navires ont longtemps été mis en chantier à l’unité plutôt qu’en séries, elle ait pris du retard dans la transition vers le dreadnought et commence à peine à opérer celle vers la propulsion au pétrole. (1)
À ce tour d’horizon technique, il convient d’ajouter un mot sur le rôle politique de la Flotte. Le choix des noms de baptême en dit long à ce sujet. Si les très petits bâtiments construits en grand nombre prennent sobrement un numéro dans leur série (Torpilleur N°… ), la République donne volontiers le nom de ses héros aux bâtiments prestigieux : Gambetta, Quinet, Ferry, Renan… Les symboles révolutionnaires ne sont pas en reste : Marseillaise, Patrie, Justice… À l’heure de la revanche, on convoque également les gloires et armes d’Ancien régime inspirées du roman national : Gaulois, Saint-Louis, Jeanne D’arc, Bouvines, Pierrier, Dague… De façon plus traditionnelle, on retrouve aussi les grands marins français : Duguay-Trouin, Suffren, Jean Bart… Dernier exemple de cette fonction « politique », les unités de la classe Kaba lancées pendant la guerre empruntent leurs noms aux populations d’un Empire colonial dont le pays tire troupes, ressources et prestige (Touareg, Bambara…).

Nouvelles unités
Aucune grande unité n’est mise en chantier pendant la guerre, pour au moins deux raisons. D’abord, une partie de la capacité de production des arsenaux est redirigée vers les besoins du front terrestre (fabrication de munitions, armement de batteries fluviales…). Ensuite, les grandes unités coûteuses et embarquant des centaines d’hommes démontrent vite leur vulnérabilité face aux U-Boote. Pour contrer cette menace, de nombreux petits bâtiments sont commandés aux arsenaux français et étrangers (plus de mille en service en 1918). Lutte ASM toujours : l’aviation maritime, créée en 1912, ne compte que 13 appareils en 1914. En 1918, elle en aligne 1 250 auxquels il faut ajouter les 35 dirigeables de l’aérostation maritime.

Navires auxiliaires
Réquisitionnés en vertu de la loi du 2 août 1877 et souvent armés par des équipages de réservistes, des centaines de bateaux sont militarisés. Du modeste chalutier au paquebot de luxe, ils vont servir de remorqueurs, citernes, arraisonneurs, dragueurs de mines, croiseurs auxiliaires, transports de troupes, transports auxiliaires, ravitailleurs en munitions, charbonniers, navires-hopitaux… (2)

Rubans réglementaires : nouvelles unités

Les rubans portant d’autres légendes que le nom d’un bâtiment
Les légendes répertoriées au BOM avant la Grande Guerre sont peu nombreuses. Dans son ouvrage de référence, le CA Schérer (3) en dresse une liste par ordre chronologique à compter de 1853 :

La multiplication des légendes non-répertoriées entraîne un rappel à l’ordre en date du 7 septembre 1910. Muet sur le sujet pendant le conflit, le BOM récapitule les rubans légendés portant le nom des unités autres que les navires de guerre en date du 27 mars 1922 :

Ce texte de cadrage est intéressant mais il est loin d’être exhaustif. On rencontre en effet de nombreuses autres légendes, une pratique ayant déjà motivé un rappel à l’ordre en 1910.

Ce texte de cadrage est intéressant mais il est loin d’être exhaustif. On rencontre en effet de nombreuses autres légendes, une pratique ayant déjà motivé un rappel à l’ordre en 1910.

Fusiliers-Marins
– 1er Régiment de marins, ruban et à gauche, photo prise en 1915
– 2e Régiment de marins,
– 1er Bataillon du 2e Régiment de marins
– Fusiliers-marins.
Cette dernière légende succède aux précédentes après la dissolution du régiment en décembre 1915.
(Coll. E. Miquelon et Marinedk)

NB. Pour les troupes à terre, on observe également les légendes Cie de mitrailleurs, Rgt de canonniers etc. Toutefois, les fusiliers-marins embarqués portent le ruban de leur navire d’affectation (voir exemple du Bayard, Militaria Magazine 416). Le BOM de 1922 ne répertorie aucune de ces légendes.

Spécialités

Stations lointaines

Autres unités administratives…

Les fabrications de fantaisie
Thème de collection à lui seul, le ruban de fantaisie est une confection privée s’écartant du règlement. La variation est parfois très discrète (tissu moiré de qualité supérieure, ancres non conformes…) mais certains exemplaires sont importables (largeur exagérée du ruban, couleurs vives, légende fantaisiste…). Le modèle le plus populaire semble avoir été celui à bouts flottants puisqu’il continue à être fabriqué bien après sa disparition officielle en 1891. La mode des canotiers civils explique sans doute en partie cette production. Ces rubans non réglementaires ont pu être destinés à célébrer un événement du bord (dates apposées sur certains exemplaires) mais ils sont sans doute le plus souvent dus à des initiatives personnelles : souvenir, cadeau, ou volonté de se singulariser à terre, une fois passée l’inspection des permissionnaires…
(A suivre)

Remerciements pour l’aide apportée à la rédaction de cet article : Leewen Y-Honh-Nié (reconstitution), personnel du SHD Lorient, magasin Le Poilu, P. Charbonnier, E. Miquelon, F. Bachmann, et tout particulièrement au webmestre du site marinedk (marinedk@free.fr)

1. CA Boivin S. (ouvrage collectif sous la direction de) La marine dans la Grande guerre, CESM, Paris 2018.
2. Saibène M. La marine marchande française 1914-1918 (L’approvisionnement de la métropole et des armées en guerre), Marine Éditions, 2011.
3. Schérer E. (CA) Équipages et fonctionnaires de la marine (corps et uniformes 1830-1940), B. Giovanangeli éditeur, 2017, et Bulletin Officiel de la Marine, Service Historique de la Défense et http://gallica.bnf.fr