Le ruban légendé apparaît sous la Monarchie de juillet (Ordonnance du 1er mars 1832 chapitre X, modifiée par l’ordonnance du 11 octobre 1836, citée par J. Letrosne et A. Goichon, in Hardes et uniformes de matelots de Louis XIV à 1937, imprimerie Minerve, Paris 1937). Il est réservé au chapeau car le bonnet de marin n’est encore qu’une coiffure de travail. L’arrêté ministériel du 27 mars 1858 bien connu des collectionneurs fournit d’intéressantes précisions concernant la fabrication du ruban : il est en taffetas uni noir pour les marins des divisions. L’inscription de la légende en lettres dorées sur le ruban des marins embarqués sera opérée par les soins de l’administration de chaque bâtiment. Postérieurement à la publication du texte de 1858, on voit apparaître le ruban pour chapeaux dans la rubrique Habillement du livret de solde. En 1859, l’amiral Gamelin, ministre secrétaire d’État de la Marine précise : « Afin d’obtenir toute l’uniformité désirable (…) Dans chaque port, l’administration pourvoira à la passation d’un marché dont le titulaire sera seul chargé du travail relatif à l’inscription des légendes. Ces légendes seront exclusivement exécutées en lettres dorées. » (en italiques dans le texte).
Le nombre de rubans à faire exécuter pour chaque navire est au maximum du double des membres de l’équipage. Large de 28 mm, il reçoit le nom du bâti¬ment imprimé en lettres capitales dorées et centrées. Noué à l’arrière du chapeau, il est porté bouts flottants. De ce fait, il est de grande longueur (initialement 1m- 1,40 m) et présente une ancre dorée à chaque extrémité. Ce type de ruban particulièrement esthétique est toujours en usage au début de la troisième république et continuera à faire l’objet de fabrications privées bien longtemps après sa suppression officielle.
Évolutions
La décision d’adapter le ruban au bonnet remonte vraisemblablement à 1872 mais elle n’a pas été publiée au BOM, elle nous parvient au détour d’un texte indiquant la façon de l’imprimer et de le nouer.
● 16 janvier 1873. Le ruban, (destiné au bonnet) au lieu d’être noué à la partie postérieure de la tête le sera sur le côté gauche et les deux bouts flottants, marqués d’une ancre également dorée, devront être disposés de manière à tomber perpendiculairement sur l’épaule. Il sera donc essentiel lorsque des rubans seront demandés par les bâtiments et les divisions ou expédiés à Paris pour être remis à M. Lohse, titulaire du marché de dorure, d’indiquer si ces rubans sont destinés à des bonnets de travail ou à des chapeaux, attendu que le nom du bâtiment devra être placé différemment suivant qu’il s’agira d’un ruban de bonnet ou d’un ruban de chapeau.
● Un texte du 4 juin 1873 précise qu’il suffit de délivrer deux rubans par homme, un pour les chapeaux, l’autre pour les bonnets de travail, longueur 1,14 m.
On relève au passage que le marché de la dorure est désormais centralisé, ce qui n’empêche pas les différences de fabrications (ancres, qualité de la dorure…).
● 24 décembre 1891. Manière de porter le ruban à légende sur le bonnet de travail du marin. Mon attention ayant été appelée sur le manque d’uniformité dans la manière de nouer le ruban sur le bonnet de travail des marins, j’ai adopté la disposition suivante, déjà en vigueur sur certains bâtiments, et qui remplacera celle qu’avait indiquée la circulaire du 16 janvier 1873 : “Replier le ruban afin de raccourcir à la dimension du bonnet de travail, les ancres non comprises ; puis coudre en rabattant les bouts à ancres sur le côté gauche, de façon que les diamants soient juxtaposés.
Remarque : les bouts du ruban légendé cessent ainsi d’être flottants.
● 24 décembre 1901. Remplacement du bonnet de travail en laine bleue tricotée pour marins par un bonnet confectionné en drap bleu foncé 19 ains.
Cette modification majeure de l’aspect de la coiffure n’entraîne pas de changement en ce qui concerne le ruban légendé.
À une date non mentionnée au BOM, le système est amélioré, les ancres sont désormais imprimées ensemble à gauche, opposées par le diamant. L’adaptation du ruban à la taille de la coiffure s’en trouve facilitée.
● 20 septembre 1905. Inscriptions à porter sur les rubans des bonnets dans les flottilles de torpilleurs ou de sous-marins. Afin de faire disparaître les différences constatées dans les inscriptions sur le ruban que portent sur leurs bonnets les marins des flottilles de torpilleurs ou de sous-marins, (…) la légende desdits rubans sera désormais uniformément libellée et disposée d’après le type suivant : TORPILLEURS -2°Fle-OCEAN
● 1910 Textes spéciaux. Troisième partie. Chapitre premier, art. 627 :
Les quartiers-maîtres et marins embarqués sur les sous-marins armés ou en essais portent sur le ruban du bonnet le nom de leur bâtiment non-précédé de la mention “sous-marin ”. Les quartiers maîtres et marins des services centraux et des équipages supplémentaires des stations portent la légende “sous-marin de…” suivie du nom du centre.
● 7 septembre 1910. Substitution de la faille à la soie pure (taffetas) pour la confection des rubans.
● 6 juin : les bâtiments doivent s’approvisionner de rubans dans les magasins de l’État.
● 30 mars 1911. Adoption d’un nouveau bonnet de marin (…) semi-rigide, conforme au descriptif sommaire ci-après. Le bandeau du bonnet est recouvert d’un ruban en faille noire de 0m.80 de longueur sur 0m.03 de hauteur et portant une légende en lettres dorées pour l’indication du bâtiment ou service. La hauteur des lettres, leur forme et l’espacement des mots doivent être conformes au modèle ci-dessous (…) Le ruban, mobile sur le bonnet sera cousu au fil noir à une longueur telle qu’il s’applique parfaitement sur le bandeau du bonnet.
Les ancres ne sont pas mentionnées dans ce BOM mais elles continuent à être imprimées pendant toute la guerre, comme en témoignent les photos d’époque et la totalité des exemplaires présentés.
Rubans légendés 1870-1914, la forme des caractères
L’emploi de capitales d’imprimerie est commun à tous les rubans légendés mais on relève trois types de polices de caractères.
Le type 1 appartient à la famille des polices modernes, sous-type Didone caractérisé par des empattements (ou serifs) filiformes horizontaux et une différence très nette entre les pleins et les déliés. Cette élégante police est associée à une typographie « à la française » depuis l’Empire. On la relève sur tous les rubans anciens. La hauteur des caractères est de 2,4 cm.
Le type 2 fait également partie de la famille des polices modernes, sous-type linéale (sans empattement), style typographique international (sans contraste entre pleins et déliés). Le rendu est très lisible mais assez lourd. Cette police préconisée par le BOM de 1911 est déjà en usage avant cette date comme en témoigne l’iconographie d’époque (voir photo du sous-marin Korrigan prise en 1904). La hauteur varie de 2,4 à 2,2 cm. L’écartement des lettres (ou « approche ») change en fonction de la longueur du nom du bâtiment.
Le type 3 fait partie de la famille des polices classiques, sous-type Humane à empattements triangulaires et faible contraste entre pleins et déliés.
(À suivre)
Sources non citées dans le texte :
– De Ballincourt M. (Cdt), Les Flottes de combat, Éditions maritimes et coloniales (Paris), 1914. p. 379 – 460, sur Gallica. bnf.fr
– Buffetaut Y., La Grande Guerre sur mer, Marines éditions, 2005
– Masson P., Histoire de la marine, Tome II. C. Lavauzelle 1983.
– Roche, J.M. Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours. JM Roche, 2005
– Militaria Magazine 260 et 262 http://www.navires-14-18.com/admin/V.php?page=1&ipp=10 https://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_Vox-Atypi
Remerciements : A. Beaumier et J. Rabu (reconstitutions), S. Gautrin, personnel du SHD Lorient, Musée des fusiliers-marins, magasin Le Poilu (Paris XV).