En 1939, la spécialité de Sniper était encore réservée aux officiers et sous-officiers. Cela change en octobre 1939 avec le réarmement généralisé en Europe, les autorités réagissent et créent une école de tireurs d’élite à Bisley.
En 1940-1941, les snipers font un travail remarquable en Norvège puis en France. Avec beaucoup de succès, ils harcèlent les Allemands afin de retarder leur avance. Preuve de cette efficacité, une école fut improvisée en France durant la bataille de la poche de Dunkerque.
Puis vient la campagne d’Afrique, avec ses grandes étendues désertiques dépourvues de positions où se camoufler et une chaleur implacable qui nuit à la bonne appréciation des distances…
En 1942, d’autres écoles de tir de précision sont créées au Pays de Galles et en Écosse, où le climat difficile et le relief accidenté se prêtent particulièrement à cette formation. Rapidement, l’encadrement est confié aux Lovat Scouts, en raison de leurs connaissances dans l’art du camouflage, de l’embuscade et des actions de guérilla, acquises durant la guerre des Boers en 1900 et entretenues depuis.
Il fallut donc attendre, fin 1942, la campagne de Tunisie puis celle de Sicile (juillet 1943) pour que les Sharpshooters gagnent en renom et prolifèrent dans les unités.
En 1943, l’armée britannique se prépare à d’autres offensives et forme de nombreux snipers. Dans le cadre de la campagne du Nord-ouest de l’Europe, la végétation et l’architecture des villes se prêtent tout particulièrement à l’emploi des tireurs d’élite.
Dès les premières heures de la bataille de Normandie, les francs-tireurs allemands causent des pertes sensibles et pour les combattre, les snipers sont aussitôt fortement sollicités. En août 1944, autour de Caen et Falaise, des écoles forment davantage de snipers, directement piochés dans les unités.
Enfin en novembre 1944, une réorganisation a lieu dans les unités d’infanterie, les tireurs d’élite sont détachés des sections de fusiliers pour rejoindre des Scout/sniper Platoons. Une fois de plus, de nouvelles écoles sont mises sur pied en Belgique puis en Hollande, bien souvent à seulement quelques kilomètres du front. Jusqu’à la fin du conflit, les équipes Scout-Snipers sont constamment sollicitées.
Organisation
C’est à partir de 1943 que les Sharpshooters font officiellement partie de l’organigramme de la compagnie d’infanterie, au nombre de deux, soit huit par bataillon. Puis en novembre 1944, certainement suite au retour d’expérience de la bataille de Normandie, les Snipers sont réorganisés sous le commandement direct du Battalion HQ dans la section Scout/sniper Platoon. Les snipers n’étaient plus seulement perçus comme des tireurs qualifiés, car ils étaient formés à la collecte de renseignements.
La section Scout/sniper était sous le commandement d’un officier du renseignement, elle comprenait huit hommes, tous qualifiés tireurs d’élite :
– un Sergeant
– un Corporal
– deux Lance-Corporals
– quatre hommes du rang.
Ils travaillent régulièrement en groupe ou en binôme leur permettant d’avoir un ou deux tireurs et un Spotter (observateur). Celui-ci utilise une longue-vue pour déceler les cibles et corriger les tirs. Ils bénéficient d’une défense rapprochée équipée d’une arme automatique Sten ou Bren, pour protéger leur position et couvrir l’exfiltration.
Cependant, il est courant, d’après les témoignages, que le Sniper opère seul.
Les missions
Les missions des tireurs d’élite sont très variées : ils pouvaient s’infiltrer derrière les lignes ennemies ou dans le No Man’s Land avant une attaque, cibler des officiers, des artilleurs et des servants de mitrailleuse, retarder l’ennemi en cas de retraite et collecter des renseignements.
Arthur Hare, originaire de Cambridge, Corporal d’active, a pris part à la campagne d’Europe de 1944-1945. Il a décrit certaines de ses fonctions de tireur d’élite, notamment en agissant comme observateur d’artillerie pour une batterie de 25-Pounder. En avant-poste, avec un poste radio, il utilisait ses compétences d’observation.
Jim Corbett, de la 6th Airborne, témoigna de son expérience en Normandie. Sa fonction était le No 1 de l’équipe lors des progressions, le No 2 était un Bren Gunner, Frank Dougan, qui marchait toujours derrière lui. En cas d’escarmouche, il pouvait ainsi couvrir le groupe.
Dans les commandos de l’armée et des Royal Marines, les Snipers étaient dans la Support Sub-Section, une équipe d’appui qui était armée également du mortier 2-inch.
La formation
La formation dispensée en école était complète, elle durait 3 à 4 semaines. Il arrivait qu’il y ait des compléments d’une dizaine de jours notamment à partir de novembre 1944 pour faire évoluer les compétences.
Le programme suivant est celui qui fut enseigné de 1944 jusqu’à 1945 :
– Généralités : organisation, équipement, déploiement des équipes ;
– Observation : la longue-vue, les jumelles, marquer la cible ;
– Le terrain : la dissimulation, le camouflage, les manœuvres, le harcèlement.
– Le tir : généralités, les sources d’erreur, le réglage de la lunette, le fusil de précision, le tir à la tombée de la nuit, tenir une position, table d’élévation, viser une cible en mouvement ou par climat venteux, reconnaissance d’objectifs, évaluer une distance, exercices de tir.
Il est évident que la topographie faisait partie de la formation : la lecture de cartes et l’utilisation d’une boussole étaient indispensables pour s’infiltrer, se situer, prendre des renseignements et indiquer des cibles à l’artillerie.
L’armement
Le sniper est armé d’un fusil à lunette, il essayait aussi de se procurer une arme de poing pour sa progression en milieu urbain. Il se munissait souvent d’un couteau de combat, comme le Sergeant canadien Harold A. Marshall, des Calgary Highlanders, avec un imposant couteau de Gurkha. Les témoignages rapportent qu’il s’agissait plus souvent d’un moyen de détection des mines que d’une arme de combat pour le corps à corps.
En 1939, le fusil de tireur d’élite est resté celui de la Grande guerre : le Pattern 14 (T), pour Telescopic Sight (lunette de précision) et le P18 (T).
Apparaît ensuite le « nez de cochon », le SMLE No 1 MkIII (T). Malgré sa meilleure précision, il est remplacé dès le 12 février 1942 par le No 4 MkI(T) dans un souci de standardisation.
Les fusils No 4 étaient sélectionnés en usine après des tests de groupement de tirs avant d’être confiés au célèbre armurier londonien Holland & Holland pour le montage des éléments spécifiques. Le fusil devenait alors un No 4 Mk1 (T), équipé d’une lunette No 32 et d’un appuie-joue.
La lunette Telescope Sight No 32Mk1, à l’origine conçue pour le FM Bren, est adoptée pour le nouveau fusil de précision en raison de sa disponibilité. Elle est ensuite remplacée le 20 avril 1943 par la No 32Mk2, plus solide et plus fiable, puis par la No 32Mk3 le 7 octobre 1944. Cette dernière version (marquée d’un W rouge) bénéficiait d’une meilleure étanchéité et d’un traitement de surface sur les lentilles.
Caractéristiques de la lunette No 32 :
– Grossissement : x 3
– poids 1,2 kg (avec son montage)
– mécanisme d’élévation allant de 0 000 à 1 000 Yards (920 m)
– mécanisme de correction de dérive.
Le fusil et la lunette subirent quelques évolutions durant le conflit : retrait d’une grenadière non utilisée spécialement posée pour les tireurs d’élite sous la lunette, ajout d’une bonnette arrière sur l’optique…
La plupart du temps, le Sniper utilise la bretelle en cuir américaine M1907, pas toujours appréciée. Elle permettait néanmoins d’avoir une meilleure prise en main de l’arme, en passant son bras à l’intérieur, offrant un point d’appui supplémentaire au tireur.
Ce fusil avec sa lunette permettait une portée optimale de 400 m, mais les bons tireurs atteignaient des cibles entre 600 et 700 m. Bon compromis entre fiabilité et précision, le fusil resta ainsi jusqu’en 1953 puis, recalibré en calibre OTAN, il finit son service en 1993 sous le nom de L42A1.
L’emport en munitions était léger, soit 50 cartouches de .303, un clip de 5 cartouches traçantes pour éventuellement désigner une cible et un clip de cartouches perforantes. Il était préconisé d’avoir deux grenades Mills No 36 pour se sortir des situations délicates. Les pièces de rechange du fusil étaient de préférence logées dans la boîte à cigarettes plate distribuée dans les rations.
La tenue et l’équipement
Le Sniper est plus efficace grâce à son binôme observateur, équipé de la Scout Regiment Telescope, une longue-vue créée en 1939 d’après le modèle la Grande Guerre. C’est un excellent instrument, qui donne un avantage unique aux tireurs britanniques. La Scout Telescope avec son grossissement x 20 permet de déceler cibles et snipers ennemis avec une grande facilité. Télescopique, elle ne prend pas plus de place que la paire de jumelles No 2 Mk2, dont le grossissement est de seulement x 6. Un officier sniper en Italie déclara que la Scout Telescope était « la meilleure arme qu’il possédait », lui offrant une vue à des kilomètres de plus que celle du Hun, cela donnait une certaine confiance surtout quand l’ennemi tirait au hasard. La Scout Regiment Telescope resta en service jusque dans les années quatre-vingt.
La spécialité de Sniper offrait le droit à quelques excentricités. Jim Corbett du 12th Devonshire Regiment témoigna de son expérience dans le Scout/sniper Platoon : « Les tireurs d’élite étaient considérés comme l’élite de notre compagnie et recevaient tous les sales boulots et missions dangereuses ; en revanche, nous avions un peu d’indépendance et une certaine liberté en matière de discipline. »
Le tireur d’élite doit faire preuve d’originalité en matière de tenue pour le camouflage, et l’équipement est parfois allégé, pour ne pas être gêné dans les mouvements et d’être le plus discret possible.
Le sniper des compagnies d’infanterie en Normandie avait la dotation standard en matière d’uniforme et de matériel, rares sont ceux qui avaient la veste camouflée Denison Smock, sauf évidemment les troupes aéroportées. C’est à la fin de l’été 1944 que les Snipers se les procurent.
La tenue était donc composée du Battledress en laine et de l’artifice de camouflage standard en campagne – le foulard-filet Face veil (fréquemment au nombre de deux) – et de branchages. Des tenues de camouflage sont bricolées en toile de jute ou avec des morceaux de filet de camouflage de véhicule. Puis arrivèrent les tenues camouflées, Denison Smock et l’ensemble Windproof. Le survêtement Windproof Suit pouvait être beige (couleur pierre pour la montagne) ou bariolé brun-vert. On observe fréquemment la tenue de camouflage de neige blanche pendant l’hiver 1944-45. Les Sharpshooters étaient prioritaires pour cette tenue. Parfois critiquée à cause de ses boutons marron, elle parfois retravaillée avec de la peinture pour casser la silhouette.
La discrétion oblige à prendre des précautions avec les brodequins cloutés réglementaires, qui étaient au besoin emmaillotés de toile de jute afin d’éliminer le bruit et les traces. L’autre parade était de porter les Plimsolls, les chaussures de sport en toile à semelle caoutchoutée.
En 1944, il était conseillé en école de s’équiper de la Scout Telescope ou d’une paire de jumelles pour l’observation ; d’une boussole, de rations de survie et de bonbons pour les longues phases d’attente, et d’une montre afin de calculer le temps d’exfiltration.
Le credo du sniper
Extrait d’une lettre du Sergeant William « Johnnie » Walker, sniper au 9th Parachute Battalion, C Coy, ayant participé à l’assaut sur la batterie de Merville.
« Voici quelques règles sur la façon d’être un bon tireur d’élite :
1) Être sérieux et impliqué,
2) L’art du camou¬flage est l’une des choses les plus importantes pour un tireur d’élite. Utilisez ce dont Mère Nature vous entoure sur le moment, tels que les arbres, l’herbe, les buissons, etc. Il est parfois nécessaire d’assombrir votre visage,
3) S’entraîner à rester sans bouger pendant de longues périodes,
4) Travailler sa respiration,
5) Ne pas appuyer brusquement sur la détente,
6) Quand il fait très froid, votre respiration fera de la buée, alors placez le filet sur votre nez et votre bouche,
7) Essayez de ne pas marcher sur des brindilles car elles émettent un bruit de craquement,
8) Restez immobile pendant un certain temps après avoir tiré sur votre cible,
9) Restez sans bouger quand vous êtes distrait par des rats, des lapins, des oiseaux, etc.
Le fusil de précision No 4 MkI(T)
– Poids : 6,5 kg (avec la lunette) ;
– Longueur : 1,13 m (sans sa baïonnette) ;
– Calibre .303 (7,7 mm) ;
– Détente tarée à 2,5 kg (comme le fusil classique) ;
– Canon à 5 rayures au pas de 25,4 cm, d’une longueur totale de 0,64 m ;
– Capacité du chargeur 10 cartouches (rechargement par le boitier-chargeur uniquement, impossible de charger par la culasse en utilisant les lames-chargeur, en raison de la lunette) ;
– Production : 24 000 en Angleterre, 1 500 au Canada et quelques centaines aux USA.
Conclusion
Après la guerre, ces hommes extraordinaires se confondirent avec la masse de soldats ordinaires, ne gardant que des souvenirs parfois plus marqués et des compétences qui s’amenuiseront au fil du temps…
Le sniper ne prenait pas le terrain, ne faisait pas de charges à la baïonnette, mais il était là, posté dans le no man’s land, bien avant que ses propres troupes n’arrivent. Dans le plus grand anonymat, il apportait bien souvent une protection ou un soutien à ses camarades, qui ne connaîtront jamais ses actions. Nous les saluons pour leur travail de l’ombre.
We will remember them !